Posté le 1er mars 2021
Par Yohann Goyat |
Son nom vous est peut-être inconnu, mais ses lignes si singulières vous sont sûrement familières. Depuis cinq ans, à Paris, elles jonchent les murs des différentes stations du métro et apparaissent chaque jour un peu plus dans la rue. Ce trio de ligne qui ne passe désormais plus inaperçu a depuis peu un nom : Jordane Saget. 2000 fresques plus tard, l'artiste au caractère plutôt discret montre enfin le bout de son nez et collabore déjà avec de grands noms. Jordane revient avec nous sur l'origine de ces lignes, leur impact dans l'espace public et le chemin qu'elles ont parcouru jusque là.
Jordane est un artiste au sens large du terme. Attiré avant tout par la géométrie et les mathématiques, l'artiste a longtemps pensé à ce qui pouvait être sa signature artistique. « J'ai cherché longtemps la formule magique afin de dessiner quelque chose de beau et de pouvoir le reproduire facilement. La vie a suivi son cours et un jour la pratique du Taï Chi Chuan a été une révélation pour moi », se rappelle-t-il. Cette pratique de l'art martial chinois allie mouvements souples, légèreté et sérénité. La définition même des trois lignes que Jordane trace désormais partout dans Paris. 3 lignes pour l'équilibre Non pas une, ni deux mais bien trois lignes qui s'entrecroisent et forment depuis cinq ans ses fresques ornementales. « J'ai commencé par tracé une ligne, mais le chiffre un est synonyme d'unité. C'est trop grand et impossible à représenter à mes yeux. Le chiffre deux ne me parle pas : il est bancal, figé et manque de mouvement » dit-il. Jusqu'au jour où il décide d'en rajouter une troisième et de mettre enfin le doigt sur la règle d'or tant recherchée : « Le chiffre trois s'est révélé à moi. C'est le premier enfant qui uni un couple, c'est le déséquilibre qui amène à créer l'équilibre ajoutant à la fois le mouvement » explique t-il. La tête dans ses cahiers à tracer des lignes et griffonner des pages au feutre noir à n'en plus finir, Jordane a ce besoin de prendre l'air. L'idée lui vient alors de changer de médium et d'investir les espaces publics à grande échelle. Mais comment faire de l'art de rue sans pour autant être considéré comme un « vandale »? Lui qui prête attention au regard des gens, ne voulait ni choquer, ni réveiller un sentiment d'insécurité chez les piétons. Il trouve alors la craie comme nouveau médium et « quand les gens m'interpellent et me demandent ce que je fais, je leur réponds que je dessine » dit-il en rigolant. Des lignes réconfortantes et apaisantes
Piéton au quotidien, Jordane ne sort jamais sans son sac et ses craies. Les espaces publics deviennent au fil des années son terrain de jeu favori. Il investi les trottoirs, les métros, les panneaux publicitaires, les marches, bref les lignes sont désormais les témoins direct de son passage. Certaines sur des murs, d'autre au sol plus éphémères, elles ne laissent pas indifférent. « J'ai beaucoup de retours sur l'effet que procurent ces lignes aux gens au quotidien, et j'en suis ravi. Je suis heureux de voir qu'elles apportent de la joie, de l’apaisement et de la bonne humeur. J'ai dessiné sur une trentaine de panneaux publicitaire dans tout un couloir de métro à Paris, et une dame m'a dit un jour qu'elle avait l'impression de voyager et de marcher au bord de l'eau grâce aux ondulations des lignes », s'exclame t-il avec émotion. « Avant c'était l'histoire d'un homme qui découvre une formule magique et qui l'a travaille de façon obsessionnelle. Aujourd'hui cet homme s'est révélé au grand jour et la signification de ses lignes a un impact. Je suis devenu le garant de ses lignes, j'ai une responsabilité! » explique Jordane. Derrière chaque ligne dessinée il y'a un travail artistique et une réflexion. L'environnement change et attire l'oeil des passants : « C'est ça qui m’intéresse! Voir la réaction des gens » dit-il avec un grand sourire, avant d'ajouter : « la craie ramène à l'enfance et touche une corde sensible chez tout à chacun. » Le blanc de meudon pour l'éternité « La démarche artistique est née dans la rue en partie grâce à la craie » dit-il. Celle-ci est devenue de plus en plus intéressante quand il a constaté la façon dont vieillissaient ses fresques rurales. « Elles prennent de l'âge comme nos visages prennent des rides avec le temps. J'en ai récemment vu une, vielle de six ans, et c'est émouvant de la voir encore intacte », raconte-t-il. Jordane a toujours respecté les artistes de rue et n'a jamais dessiné sur d'autres œuvres. Il acquiert alors avec le temps la reconnaissance et le respect des artistes de rue parisiens, cependant il constate un jour qu'une de ses fresques à été « toyé *». « J'étais vraiment déçu, mais à y réfléchir c'était une idée géniale car l'artiste a utilisé la craie déjà présente et l'a étalé afin de signer son nom. » Suite à ce constat et après quelques recherches, Jordane découvre le blanc de meudon* qui va devenir son nouveau et actuel médium. « Le travail est plus rapide, j'étale au rouleau le mélange et avec mon doigt j'enlève de la matière », explique t-il. « Ce médium amène un travail plus fragile, et est souvent comparé au cristal. La plus vieille fresque a 6 ans et disposée sur un miroir chez moi. Mais si je la touche elle est toute aussi fragile que le premier jour où je l'ai dessinée », dit-il. Des lignes engagées
La beauté et la fragilité de ses fresques ornementales, comparables à des moucharabieh*, sont d'une finesse incroyable laissant passer la lumière à l'image d'un vitrail. Jordane se voit alors confié de grands projets afin d'embellir des restaurants mais aussi des hôtels et autres vitrines. Les contrats affluent et se voit travailler avec divers artistes et organisations : Jean-Charles de Castelbajac, Agnès b., Les Enfoirés, Sciences Politiques… Chacune de ses collaborations ont un sens et une éthique pour lui. Jordane Saget s'implique aussi beaucoup pour la cause piétonne à Paris, sa série « Jaune Signalétique » en est la preuve : « Paris est une ville avant tout piétonne, tu dois la découvrir à pied. Et mon engagement au travers de mon art est de signaler ces zones dangereuses aux piétons, ou empiétant sur les zones piétonnes (poussettes, fauteuils roulants, terrasses de restaurants...) », conclut-il. Si l'anonymat de ses lignes a été gardé pendant de longues années, l'influence et l'impact qu'elles ont eu l'ont rattrapé depuis peu. Jordane a à coeur de porter en avant l'ornementation si caractéristique à Paris et dont chacune des lignes tracées ramènent un peu plus à l'histoire culturelle et l'art nouveau, si caractéristiques de la ville. Sa dernière folie serait de marquer de son empreinte l'horloge du musée d'Orsay, une façon selon lui « de faire vivre ces musées depuis trop longtemps à l'arrêt. » Site internet : www.jordanesaget.com Instagram : @jordanesaget LEXIQUE : * se faire toyer en street-art, est l'action de se faire recouvrir par un autre artiste * blanc de meudon est un blanc à base de craie, tiré des carrières de Meudon, près de Paris, en France. * le moucharabieh est un dispositif de ventilation naturelle forcée fréquemment utilisé dans l'architecture traditionnelle des pays arabes. |